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La bande dessinée a longtemps été une affaire de dessinateurs et seulement de dessinateurs. Le métier de scénariste n’existait pas avant que René Goscinny et quelques autres (Jean-Michel Charlier, Jacques Lob, Greg, Yvan Delporte…) ne viennent démontrer, avec succès, que l’écriture graphique pouvait parfaitement se dissocier. « Pur » scénariste, Pierre Christin en fut un, et l’un des plus grands du 9e art. Tant par la profusion de son travail – une centaine d’ouvrages publiés en cinquante ans de carrière – que par la portée de son œuvre d’une modernité sans cesse renouvelée, aux confins de la politique, du social, du fantastique ou encore de l’intimisme. Celui qui fut également romancier, journaliste, enseignant, universitaire et voyageur impénitent est mort jeudi 3 octobre à Paris, à l’âge de 86 ans.
Esprit libre et érudit, Pierre Christin était doté d’une clairvoyance rare qui le vit anticiper, par le biais de la fiction, deux faits majeurs de l’histoire du XXe siècle : la catastrophe nucléaire de Tchernobyl, dans La Cité des eaux mouvantes (1970), premier volume de la série de science-fiction Valérian, créée avec Jean-Claude Mézières ; et la déliquescence du bloc soviétique, dans Partie de chasse (1983), réalisé avec Enki Bilal. Le classer dans le camp des anticommunistes serait oublier qu’il pourfendit le libéralisme avec autant d’ardeur dans Valérian. Le sous-genre du space opera s’avéra d’ailleurs fort utile au scénariste, permettant d’explorer à travers lui de nombreux sujets en friche, tels que l’écologie ou la mondialisation.
Né le 27 juillet 1938, à Saint-Mandé (alors dans le département de la Seine), Pierre Christin doit son parcours intellectuel et artistique à l’école publique : « Je suis un rescapé des anciennes filières populaires des cours complémentaires », aimait-il dire. Fils d’un coiffeur et d’une manucure, il rejoint le lycée Turgot à Paris, avant de poursuivre ses études à Sciences Po, puis à la Sorbonne, où il obtient un doctorat de littérature comparée en soutenant une thèse intitulée « Le fait divers, littérature du pauvre ». Avec le piano jazz, la littérature est sa vraie passion. Ses auteurs fétiches s’appellent Alexandre Dumas, Chester Himes, Tom Wolfe, mais aussi Edgar P. Jacobs, le créateur de Blake et Mortimer. Il écrit un peu, « des bouts de roman et des poèmes pour séduire les filles », sans penser que la bande dessinée deviendra son principal terrain d’expression.
Le hasard l’y conduira. Fasciné par les Etats-Unis, le jeune diplômé part sillonner l’Ouest américain en tant que visiting lecturer en 1965, et obtient un poste de professeur de littérature française contemporaine à l’université de Salt Lake City (Utah). Le monde n’étant pas assez vaste pour s’éloigner de ses amis, il retrouve alors fortuitement Jean-Claude Mézières, un copain de sa tendre enfance qu’il connut pendant les bombardements de la seconde guerre mondiale à l’abri d’une cave.
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